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Eva Schloss (Angleterre)

La demi-sœur d'Anne Frank raconte sa propre histoire


"J'ai eu de la chance. J'étais jeune et en bonne santé, je voulais vivre", explique Eva Schloss quand on lui demande ce qui lui a permis de sortir vivante de l'enfer d'Auschwitz-Birkenau.


INTERVIEW - Survivante d'Auschwitz-Birkenau, Eva Schloss témoigne de son expérience de la barbarie nazie dans un livre publié pour la première fois en France. Après la guerre, sa mère épousa Otto Frank, le père de la petite adolescente juive.

Eva Schloss a 80 ans. L'âge qu'aurait eu Anne Frank aujourd'hui si elle avait survécu aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Comme elle, Eva a vécu avec sa famille à Amsterdam où elle a immigré dans les premiers mois du conflit depuis son Autriche natale. Elle a même côtoyé la jeune juive dont le «Journal», publié en 1947, a connu un succès mondial. Le jour de ses 15 ans, elle est déportée car juive avec ses parents et son frère. Eva passera huit mois à Auschwitz-Birkenau. Elle en sortira vivante ainsi que sa mère. Cette dernière épousera quelques années plus tard Otto Frank, le père d'Anne, qui a aussi perdu sa femme et son autre fille dans les camps. Eva Schloss devient alors la demi-sœur posthume d'Anne Frank.

Au milieu des années 80, Eva décide de livrer son expérience de l'horreur nazie dans un livre autobiographique. Depuis, elle parcourt le monde pour témoigner notamment auprès des plus jeunes. Entretien.

lefigaro.fr. - Qu'est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?
Eva SCHLOSS. - Quarante ans après la guerre, je croyais que les hommes avaient appris à ne plus haïr, ne plus avoir de préjugés. Il n'en était rien. En Angleterre, par exemple, les populations noires ou musulmanes étaient victimes d'attaques racistes. Je souhaitais changer ces comportements, montrer aux jeunes les conséquences tragiques que ceux-ci pouvaient entraîner. J'ai été amenée à prendre la parole en 1986 lors d'un colloque organisé sur Anne Frank à Londres. C'était la première fois que je racontais mon expérience en public. J'ai lâché tout ce que j'avais retenu depuis des années. Même en privé, j'en parlais très peu.

Vous revenez longuement sur votre expérience des camps. Qu'est-ce qui vous a permis d'en sortir vivante ?
J'ai eu de la chance. J'étais jeune et en bonne santé, je voulais vivre. Je n'ai jamais cessé d'espérer. Mais la chance est pour beaucoup. Tous les survivants des camps ont eu de la chance. Dans mon cas, c'est la rencontre de ma cousine, Minni. Elle m'a sauvé la vie. (Cette infirmière à Birkenau évitera à la mère d'Eva d'être exterminée et soutiendra les deux femmes pendant leur détention).

Dans la préface de votre livre, vous dites ne pas croire en la bonté humaine. C'est une phrase terrible …
J'ai vu des choses incroyables commises par les Allemands. Des gens bien éduqués, à qui nous n'avions fait aucun mal, et qui nous ont traité moins bien que des animaux. Ces gens-là pouvaient désobéir. Je continue aujourd'hui à penser qu'il y a des mauvaises personnes mais aussi beaucoup de bonnes personnes. J'ai donc un peu changé d'avis.

Vous avez côtoyé Anne Frank. Quelle image gardez-vous d'elle ?
Je l'ai connue quant elle avait entre 11 et 13 ans. C'était une petite fille normale, très vivante. Elle se croyait très importante, aimait être entourée. Mais surtout, elle parlait beaucoup. On la surnommait «Madame couac-couac» (elle imite le bec d'un canard). Elle avait un mois de moins que moi, mais semblait plus mûre. Anne aimait que les garçons la regardent. De mon côté, c'est l'expérience des camps qui m'a fait grandir, notamment lorsqu'il a fallu veiller sur sa mère. À 15 ans, j'étais une adulte.

Quelle a été la réaction d'Otto Frank, le père d'Anne, en apprenant l'existence du journal écrit par sa fille ?
Il a toujours su qu'elle écrivait mais ne savait pas que ce journal avait été conservé. Cet évènement l'a sauvé. Sans cela, il se serait laissé aller. Avec ce livre, sa petite fille était toujours avec lui.

Comment analysez-vous le succès de cet ouvrage ?
D'abord je n'ai pas compris car c'est le livre d'une petite fille. C'était le premier livre à propos de la Shoah. Mais ce n'était pas la Shoah, car il n'aborde pas les choses affreuses qui se sont passées dans les camps. Dans les années cinquante, le public voulait connaître un peu de cet épisode. Mais pas trop. Beaucoup de jeunes se sont aussi retrouvés dans ce récit : à travers l'évocation des conflits avec les parents, l'éveil à la sexualité …

Depuis 1986, vous témoignez de votre expérience à travers le monde, notamment auprès des enfants. Comment réagissent-ils ?
Ils comprennent les choses. Beaucoup sont originaires de pays qui ont connu la guerre (en Afrique ou en ex-Yougoslavie par exemple). Dans les années 40, on pouvait dire «cela n'existe pas», mais maintenant on voit tout au cinéma, à la télévision.

Que vous inspirent les déclarations de ceux qui remettent en cause l'existence du génocide juif ?
Je ne crois pas que ces personnes - souvent des intellectuels - croient vraiment à ce qu'ils disent. Beaucoup de preuves attestent de la réalité de la Shoah.

lefigaro

web site d'Eva Schloss

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