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Paul Krugman (USA)

Le Nobel d'économie attribué à l'Américain Paul Krugman - 2008
Pour "son analyse des schémas commerciaux et de la localisation de l'activité économique"

Paul Robin Krugman, né le 28 février 1953 à Long Island - New York


Editorialiste au New-York Times, spécialiste des classes moyennes, Paul Krugman est un virulent critique de la politique économique de George Bush.
C'est Paul Krugman qui a décroché lundi le prix Nobel d'économie, a annoncé l'Académie royale suédoise des sciences.

L'économiste américain a mis au point une nouvelle théorie intégrant des recherches disparates sur les échanges commerciaux et la géographie économique, a indiqué l'académie dans ses attendus. Le lauréat recevra des mains du roi de Suède le 10 décembre, avec les autres prix Nobel de l'année, une médaille en or, un diplôme et un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,03 million d'euros) qui peut être divisé dans chaque catégorie entre trois gagnants.

Editorialiste au New-York Times, spécialiste des classes moyennes, Paul Krugman n'a pas tout à fait le profil de l'économiste traditionnel. Même s'il est détenteur de la prestigieuse médaille John Bates Clark de l'American Economic Association, antichambre du Nobel. Il est en effet plus connu pour ses éditoriaux au vitriol contre la politique économique de George Bush, et pour ses ouvragres de vulgarisation.

Il ne faisait pas partie des favoris des médias pour le Nobel pour une autre raison encore : on sait aussi souvent enclin à récompenser des économistes libéraux. La crise financière qui secoue les économies mondiales, mais aussi les théories économiques classiques, est passée par là. Krugman, est, notamment, réputé avoir anticicipé la précédente grosse crise financière, en 1997

La Page de Paul Krugman - Economie
La Page du Nobel

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment les républicains ont démoli le New Deal

LE MONDE | 25.08.08 |

Je suis né en 1953. Comme à tous ceux de ma génération, l'Amérique où j'ai grandi me paraissait aller de soi – comme beaucoup, d'ailleurs, je dénonçais les injustices bien réelles de notre société, manifestais contre les bombardements au Cambodge, faisais du porte-à-porte pour des candidats libéraux (de gauche et favorables à l'Etat-providence au sens américain). Ce n'est qu'avec le recul que l'environnement économique et politique de ma jeunesse a pris l'allure d'un paradis perdu, d'un épisode exceptionnel dans l'histoire de notre pays.

L'Amérique d'après-guerre était d'abord une société de classe moyenne. La grande ascension des salaires inaugurée par la seconde guerre mondiale avait fait passer des dizaines de millions d'Américains – dont mes parents – des taudis urbains ou de la pauvreté rurale à une vie de propriétaire et de confort sans précédent. Les riches, eux, avaient régressé : il y en avait fort peu et, par rapport à cette classe moyenne prospère, ils n'étaient pas si riches que cela. Quant aux pauvres, s'ils étaient plus nombreux que les riches, ils constituaient malgré tout une minorité assez réduite. Il y avait donc un sentiment très fort de communauté, d'égalité économique : la plupart des Américains vivaient dans des conditions matérielles assez homogènes et tout à fait décentes.

A la mer égale de notre économie répondait un climat politique tempéré. Durant l'essentiel sinon l'ensemble de ma jeunesse, un large consensus unissait démocrates et républicains sur la politique étrangère et bien des aspects de la politique intérieure. Les républicains n'essayaient plus de démanteler les acquis du New Deal : un certain nombre ont même soutenu Medicare (Système universel d'assurance-maladie). Et "bipartisan" n'était pas un vain mot. Malgré les poussées de fièvre sur le Vietnam et sur les relations interraciales, malgré les sinistres machinations de Nixon et de ses sbires, le processus politique américain restait régi, pour l'essentiel, par une coalition bipartisane, dont les membres étaient d'accord sur les valeurs fondamentales.

(…) Désormais, une société relativement égalitaire, avec une classe moyenne forte, et une vie politique apaisée constituaient, pensions-nous, l'état normal d'un pays parvenu à maturité. Or, dans les années 1980, il s'est peu à peu avéré que la mutation progressive des Etats-Unis en pays de classe moyenne politiquement modéré n'était pas la fin de l'histoire. Les économistes se sont mis à enregistrer une forte hausse de l'inégalité : un petit nombre d'individus prenaient une avance considérable, tandis que la situation économique de la plupart des Américains s'améliorait fort peu ou pas du tout. Les politologues ont noté un mouvement de polarisation de la vie publique : les hommes et femmes politiques gravitaient vers les extrémités de l'éventail droite-gauche; de plus en plus, "démocrate" et "républicain" devenaient respectivement synonymes de "libéral" et "conservateur". Ces évolutions sont toujours à l'œuvre : aujourd'hui, l'inégalité des revenus est aussi forte que dans les années 1920 et la polarisation politique plus tranchée qu'à toute autre époque.

Cette polarisation n'est pas l'effet d'un durcissement extrémiste des deux partis. Il serait bien difficile de soutenir que les démocrates ont évolué vers la gauche : sur les questions économiques, de l'aide sociale aux impôts, non seulement Bill Clinton a gouverné plus à droite que Jimmy Carter, mais même plus à droite que Richard Nixon. En revanche, il est évident que les républicains ont évolué vers la droite : il suffit pour s'en convaincre de comparer le conservatisme intransigeant d'un George W. Bush à la modération d'un Gerald Ford. En fait, certaines politiques de Bush – sa tentative visant à supprimer les droits de succession, par exemple – ne ramènent pas l'Amérique à ce qu'elle était avant le New Deal, mais avant l'ère progressiste (la période 1900-1918).

Regardons l'histoire sur la longue durée : tant le début que la fin de l'ère du consensus bipartisan (les années 1950, 1960 et 1970) ont été dus à des changements fondamentaux du Parti républicain. Cette époque a commencé au moment où les républicains qui avaient farouchement combattu le New Deal ont pris leur retraite ou jeté l'éponge : après la victoire surprise d'Harry Truman en 1948, la direction du Grand Old Party (surnom traditionnel du Parti républicain) a admis que le New Deal ne disparaîtrait pas, et, pour son propre salut politique, elle n'a plus cherché à ramener le pays aux années 1920. La période du consensus bipartisan a cédé la place à une nouvelle ère de lutte partisane acharnée lorsque le Parti républicain a été conquis par une nouvelle force radicale sur la scène politique américaine, le "conservatisme de mouvement" (movement conservatism), qui va jouer un grand rôle dans ce livre. Cet esprit partisan a atteint son apogée après l'élection présidentielle de 2004, quand un George W. Bush triomphant a tenté de démanteler la Caisse de retraite publique (la Social Security), le "joyau de la couronne" des institutions du New Deal (…).

LA POLITIQUE DE L'INÉGALITÉ

Pour comprendre comment George W. Bush et Dick Cheney ont fini par gouverner le pays, il faut remonter le temps d'un demi-siècle, et partir des années où la National Review, dont le rédacteur en chef était le jeune William F. Buckley, défendait le droit du Sud à interdire aux Noirs de voter – "la communauté blanche en a le droit parce qu'elle est, pour le moment, la race avancée" – et qualifiait élogieusement le généralissime Francisco Franco, qui avait renversé un gouvernement démocratiquement élu au nom de l'Eglise et de la propriété, d'"authentique héros national". Le petit mouvement qu'on appelait alors "nouveau conservatisme" était essentiellement une réaction de protestation contre la décision de Dwight Eisenhower et d'autres dirigeants républicains de faire la paix avec l'héritage de Franklin Roosevelt.


Au fil des ans, ce petit mouvement a grandi pour devenir une force politique puissante, baptisée par ses partisans comme par ses adversaires le "conservatisme de mouvement". C'est un réseau de personnes et d'institutions qui s'étend bien au-delà de la "vie politique" au sens habituel. En plus du parti républicain et de ses personnalités, le conservatisme de mouvement comprend des groupes de presse et de télévision, des instituts de réflexion (think tanks), des maisons d'édition, etc. Il est possible de faire une carrière complète à l'intérieur de ce réseau, et certains le font, avec la certitude tranquille de voir leur fidélité politique récompensée quoi qu'il arrive. Un libéral qui aurait salopé une guerre puis violé les règles éthiques pour enrichir sa maîtresse pourrait s'inquiéter de ses perspectives d'avenir. Paul Wolfowitz avait un fauteuil qui l'attendait à l'American Enterprise Institute.

Autrefois, bon nombre d'hommes politiques républicains n'étaient pas des "conservateurs de mouvement". Il n'en reste que quelques-uns, en grande partie parce que les éléments jugés politiquement peu fiables se heurtent aux pires difficultés. Posez donc la question à Lincoln Chafee, l'ex-sénateur modéré de Rhode Island : aux primaires de 2006, la droite a mené contre lui une violente campagne de dénigrement qui a contribué à sa défaite aux élections générales, même s'il était clair que les républicains allaient peut-être avoir vraiment besoin de lui pour garder la majorité au Sénat.

L'argent est la colle forte du conservatisme de mouvement, essentiellement financé par une poignée de super-riches et un certain nombre de grandes entreprises qui ont quelque chose à gagner à la montée de l'inégalité, à la suppression de la fiscalité progressive, à l'abrogation de l'Etat-providence – bref, à un New Deal à l'envers. Revenir à la période antérieure aux politiques économiques qui limitent l'inégalité est, au fond, la raison d'être du conservatisme de mouvement. Grover Norquist, militant antifiscal qui est l'une de ses grandes figures, a confié un jour qu'il voulait ramener l'Amérique à ce qu'elle était "avant Teddy Roosevelt, l'époque où les socialistes sont arrivés au pouvoir. L'impôt sur le revenu, l'impôt sur la mort (nom donné par les conservateurs de mouvement pour les droits de succession), la réglementation, tout ça".

Puisqu'il a pour but, en dernière analyse, d'abolir des politiques qui frappent une toute petite élite très fortunée, le conservatisme de mouvement est foncièrement antidémocratique. Mais, si vive qu'ait pu être l'admiration de ses fondateurs pour les méthodes du généralissime Franco, aux Etats-Unis, la route du pouvoir passe par les élections. L'argent serait loin d'affluer à ce point si les donateurs potentiels croyaient encore, comme ils avaient toutes les raisons de le croire au lendemain de la défaite cuisante de Barry Goldwater en 1964, que proposer des mesures économiques aggravant l'inégalité était un suicide politique. Le conservatisme de mouvement est passé des marges de la politique américaine à son centre nerveux parce qu'il s'est révélé capable de gagner des élections.

Plus que tout autre, c'est Ronald Reagan qui a montré le chemin. Le discours de 1964 qui a lancé sa carrière politique, "L'heure du choix", et ceux qu'il a prononcés au cours de sa campagne victorieuse de 1966 pour être élu gouverneur de Californie anticipaient les stratégies qui allaient fonctionner pour lui et pour d'autres conservateurs de mouvement durant quarante ans. Après coup, des hagiographes ont représenté Reagan en parangon des principes conservateurs de haute tenue, mais ce n'était pas du tout ça. Il a remporté ses premiers succès politiques en parlant aux angoisses culturelles et sexuelles, en jouant sur la peur du communisme, et surtout en exploitant à mots couverts la réaction hostile des Blancs face au mouvement des droits civiques et à ses conséquences.

Un message crucial de ce livre risque de mettre mal à l'aise de nombreux lecteurs : la grande raison de ce qui est arrivé au pays où j'ai grandi, c'est le racisme. C'est à cause de l'héritage de l'esclavage, le péché originel de l'Amérique, que nous sommes la seule économie avancée qui ne garantit pas les soins médicaux à ses citoyens. C'est à cause de l'hostilité des Blancs au mouvement des droits civiques que les Etats-Unis sont le seul pays avancé où un grand parti politique veut abroger l'Etat-providence. Ronald Reagan a lancé sa campagne de 1980 par un discours sur les droits des Etats qu'il a prononcé près de Philadelphie, Mississippi, une ville où trois militants des droits civiques avaient été assassinés (le 21 juin 1964). Newt Gingrich a réussi à prendre le contrôle total du Congrès en 1995 à cause du grand retournement du Sud – dont la population blanche est passée du vote massif pour les démocrates au soutien total aux républicains.

POUR UN NOUVEAU NEW DEAL

Quelques mois après l'élection présidentielle de 2004, j'ai subi des pressions de certains de mes confrères en journalisme : je devais, à leur avis, cesser de passer mon temps à critiquer l'administration Bush et les conservateurs en général. "Les urnes ont parlé", m'a-t-on dit. Avec le recul, cependant, l'élection de 2004 apparaît comme l'ultime exploit du conservatisme de mouvement avant sa chute. Les républicains avaient remporté une victoire retentissante aux élections législatives de mi-mandat de 2002 en exploitant le terrorisme jusqu'à la corde. Tout porte à croire qu'une des raisons pour lesquelles Bush nous a fait intervenir militairement en Irak était son désir de perpétuer la psychologie de guerre; il se disait aussi que la victoire attendue dans une splendide petite guerre serait bonne pour ses perspectives de réélection. D'ailleurs, l'Irak lui a probablement valu d'être réélu en 2004, même si la situation là-bas commençait déjà à se dégrader.

Mais la guerre a vraiment mal tourné, et ce n'est pas un hasard. Quand Bush est entré à la Maison Blanche, le conservatisme de mouvement s'est enfin trouvé en mesure de contrôler tous les leviers du pouvoir, et s'est vite révélé inapte à gouverner. Son choix de tout politiser, de donner priorité absolue au loyalisme partisan, crée une culture du copinage et de la corruption omniprésente dans ce que fait l'administration Bush, de son insuccès à reconstruire l'Irak à son impuissance devant les désastres de l'ouragan Katrina. Ses multiples échecs s'expliquent aisément : c'est ce qui se passe quand le gouvernement est aux mains d'un mouvement attaché à des politiques contraires aux intérêts de la grande majorité des Américains, donc qui doit essayer de compenser cette faiblesse intrinsèque en mentant, en donnant le change, en récompensant généreusement ses partisans. Le mépris croissant du pays pour Bush et son administration a aidé les démocrates à remporter en 2006 une victoire spectaculaire aux élections de mi-mandat.

Certes, une élection ne fait pas une tendance de longue durée. Mais des évolutions de fond ébranlent la tactique politique qu'utilisent les conservateurs de mouvement depuis la candidature de Ronald Reagan aux fonctions de gouverneur de Californie. La principale, c'est que l'électorat américain, pour le dire crûment, devient moins blanc. Les stratèges républicains tentent d'introduire un distinguo entre les Afro-Américains et les électeurs asiatiques et hispaniques qui pèsent de plus en plus lourd dans les scrutins, mais – le débat sur l'immigration l'a bien montré –, c'est une distinction que les électeurs de la "réaction blanche", dont dépend le parti républicain moderne, ne sont pas prêts à faire. Un facteur plus subtil est l'évolution graduelle des esprits aux Etats-Unis. Les sondages suggèrent que le centre de gravité de l'électorat s'est nettement déplacé vers la gauche sur les problèmes intérieurs depuis les années 1990, et que la race est une force en perte de vitesse dans un pays qui, réellement, devient de moins en moins raciste.

Le conservatisme de mouvement a encore l'argent de son côté, mais cela n'a jamais suffi. Si tout reste possible dans l'élection présidentielle de 2008, on peut raisonnablement imaginer qu'en 2009 les Etats-Unis auront un président démocrate et une majorité démocrate solide au Congrès. De plus, si cette nouvelle majorité existe, elle sera beaucoup plus cohérente idéologiquement que la majorité démocrate des deux premières années de Bill Clinton, qui était une alliance difficile entre des libéraux du Nord et des conservateurs du Sud.

D'où la question : cette nouvelle majorité, que doit-elle faire? Ma réponse : elle doit, pour le bien du pays, suivre une politique résolument progressiste. Expansion de la sécurité sociale et réduction de l'inégalité. Un nouveau New Deal. Le coup d'envoi de ce programme, l'équivalent de la Caisse des retraites publiques au XXIe siècle, doit être l'assurance-maladie universelle – que tous les autres pays avancés ont déjà.

Anonyme a dit…

Pourquoi les crises reviennent toujours, Paul Krugman (traduit de l’américain par Joëlle Cicchini)

« Liquider le travail, liquider les stocks, liquider les fermiers, liquider les biens immobiliers... Éliminer la pourriture du système. » Cette phrase d’Andrew Mellon qui, en son temps, avait justifié l’inaction de l’administration Hoover à tenter de résorber la crise des années 30, semble totalement surréaliste aujourd’hui, tant nous croyons en la volonté et en la capacité de nos dirigeants à empêcher les conséquences les plus catastrophiques des crises économiques.
Paul Krugman dans son livre, Pourquoi les crises reviennent toujours, démontre que justement cette capacité de sauvegarde n’est peut-être pas établie, et que les outils macro-économiques modernes ne sont peut-être pas efficaces. En prenant comme objet d’analyse la crise économique de la fin des années 90 et comme modèle théorique récurrent une coopérative de baby-sitting, Paul Krugman décrit et décrypte les différentes étapes de la dernière crise économique de 1998.
Par cet essai, il tente de décortiquer les spécificités de chacune des économies et des processus mis en œuvre pour permettre la croissance économique. Paul Krugman montre de manière claire à quel point ces économies sont vulnérables, et comment, après une succession d’événements presque anodins, elles ont basculé dans la crise. Cette vulnérabilité est malheureusement accentuée par la dépendance intellectuelle que les dirigeants de ces pays entretiennent avec les États-Unis et les institutions économiques internationales. Cette dépendance aboutit à l’application sans nuance de remèdes qui ne sont pourtant pas forcément adaptés.
Pédagogique, l’utilisation du modèle de la coopérative permet de rendre facile d’accès les conséquences des décisions concernant l’inflation, la récession, le retrait des capitaux... Et d’envisager des portes de sortie.
Krugman démonte l’idée reçue selon laquelle tout ce qui arrive à ces pays n’est qu’un juste retour de balancier, une sanction divine pour tous les péchés commis.
Ce thème est le credo de Krugman : l’économie internationale n’est pas homogène. Le seul objectif de tout État doit être de réussir à maintenir la demande à un niveau satisfaisant pour utiliser de façon optimale les capacités de l’économie. La question du respect des lois du libéralisme n’est que secondaire puisqu’en cas de crise grave, elles se révèlent souvent inefficaces.
Olivier LE PHUEZ
Paris, Éditions du Seuil, 2000

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